Qu’importe les années, les mois, les semaines, les jours, les heures ou les minutes qui passent. Le temps n’existe plus depuis si longtemps qu’il en oublierait même son âge véritable. Une torture oubliée tout comme nombreux des condamnés qui partagent un traitement identique. Alors, on attend la fin jusqu’à même parfois s’inquiéter de ne pas la voir arriver.

Alors lorsque sa porte s’ouvre, la peur s’affirme. Pourtant, aucune créature vêtue d’un drap de mauvais goût n’est présente. Seul des hommes, bien plus humain que lui-même, recroquevillé et sale. Un homme qui n’est plus un homme.

Et il y avait cette phase d’incompréhension. Lui pourtant innocent, qui avait attendu ce jour depuis bien des années. Mais c’est toujours face à l’instant présent, lorsque l’on souhaite tant ce qui paraîtrait pourtant improbable, que la réalité semblerait être un bien mauvais rêve. Son cœur émietté dont le seul désir était d’enfin se réveiller.

Alors monter n’avait jamais été aussi difficile. Ses pas sont lourds et incertains. Un corps pourtant massif qui s’apprêterait à s’effondrer à la moindre bousculade. Le regard flou qui empêche de décortiquer l’instant présent, de reconnaître quiconque, puisse encore que certains visages puissent lui être familier. Mais un homme à la chevelure éclatante malgré l’obscurité du lieu, une voix qui raisonnait dans son esprit, semblable à une torture pour le crime qu’il n’avait pourtant jamais commis.

L’ensemble des muscles hormis ceux du cou qui se crispent, s’immobilisent et pèsent. Non loin de cette calèche qui sonne sa liberté, non loin de cette homme pourtant disparu, décédé depuis une décennie. Le temps abstrait, ignorant, Tom ne saurait dire depuis combien de temps il croupit entre ces murs.

Et si sa mâchoire est serrée, faute de mieux. Son regard n’est pourtant pas dur, il n’est pas triste, désorienté ou meurtrier. Il ne se dérobe pas, mais c’est un sentiment nouveau qui traverse les fenêtres de son âme, semblable à une profonde trahison.

« Tu-… »

Qu’il peine à articuler. Les mots ne viennent pas, car seuls les cris l’avaient accompagné durant tout ce temps. Les mots ne viennent pas, parce qu’aucun pensée n’était capable de s’exprimer verbalement. Quand bien même le sarcasme aurait pu être présent, aussi vite que l’éternité, une fin qui n’était pas véritable, un chez lui qui lui avait été dérobé. Beaucoup d’ignorance, un futur et un lendemain qui lui étaient à peine imaginable.

Vacille alors lorsque son pas reprend, se retient grâce à la calèche dans lequel il monte sans même détourner son regard, dorénavant voilé. Était-il en colère ?

Il l’ignorait.

Car il avait cette impression de ne plus rien ressentir.  

Il avait du mal. Du mal à détourner son regard tout autant qu’il en avait à le maintenir. Quant à sa respiration, elle était lourde et bruyante, difficile. Les mots ne viennent pas, car l’incompréhension subsiste, tout est si semblable à un rêve que Tom ignore même si tout cela à un sens. Alors il s’agrippe de toutes ses forces jusqu’à s’en écraser les ongles sur la banquette de la calèche.

« Évidemment. »

Qu’il raille, de sa mâchoire serrée. Évidemment, que le procès avait été injuste, puisse encore qu’il ait été réel. Le nom des Lestrange avait été cité tant de fois, autant pour l’être disparu que ceux présents pour l’inculper de ce crime qui n’avait donc, bien jamais eu lieu.

« Désolé ah - ! »

Un haut les cœurs, une nausée soudaine lorsque la calèche semble faire un léger virage. Si Tom n’était plus habitué à la liberté, semblait difficilement pouvoir rester debout sur ses deux jambes pour marcher, voler était bien différent. Bien plus troublant et malaisant.

« Lavé ? Dédommagé ? Tu. »

Que si ses forces ne l’avaient pas tant abandonné, que si Clovis n’était pas l’être qu’il était. Sans doute l’aurait-il attrapé par le col pour l’enfoncer au mur de cette calèche, pourtant porteuse de liberté. Alors à défaut de pouvoir agir, c’est une grimace qui se dessine.

« Tu crois réellement que c’est possible, qu’il existe un moyen de- »

De combler, de réparer. Qu’importe le terme, qu’importent les mots.

Un silence. Qu’il réalise alors. Trois ans, trois années qu’il avait vécu enfermé, coupé du monde, coupé d’une vie. Enfermé, torturé. Détruit.

Trois années qui ne peuvent être rattrapées, qui ne pourront être oublié. Plus encore que Tom ignore, qu’il ne sait pas que ce n’est pas que son temps et son esprit qu’il a perdu. Sa vie aussi, sa famille qui ne l’attend plus, sa maison qui n’existerait plus. C’est son monde qui s’est écroulé, car victime d’un coup monté, victime d’un nom et d’un sang.

« Pourquoi es-tu revenu ? »

Pourquoi pas avant, pourquoi aujourd'hui et pas hier. Sa voix est brisée, Tom est dévasté. Pourquoi pas demain ou bien l'avoir oublié. Car en vérité, il se dit qu’il aurait été mieux que Clovis ne revienne jamais. Qu’il reste ainsi condamné, misérable jusqu’à ce que la mort l’attrape.

Car aujourd’hui, il n’est tout simplement plus.

Un rire rauque et saccadé, qui tire tellement sur ses cordes vocales qu’il en devient synonyme de douleur bien plus que de moquerie.

« C’est bien un concept de riche que de croire qu’il est possible de reconstruire des miettes. »

Qu’autrefois, il aurait pu s’en vouloir, car ses mots bien souvent durs n’avaient jamais été autant ciblés. Envers lui, envers eux. Ces familles qui se considéraient comme importantes, comme bien plus puissantes. Inarrêtable, impunissable. Pourtant, Tom n’ignore pas que Clovis n’était pas ce gamin choyé, qui n’avait pas été bordé par l’amour de ses deux parents. Différents en tout point. Mais un fond de vérité, car que pouvait-il reconstruire ? Un esprit, un corps, un monde ? Effacer des pensées, le temps passé et les futurs cauchemars et insomnies qui borderaient ses jours ? Reconstruire la pression qu’avait vécue sa femme, la douleur de son fils qui avait continué de grandir pendant ces trois années sans la présence de son père ?

Ah qu’il était drôle.

« Je n’ai pas besoin de votre argent. »

Qu’il lui crache presque à la figure. Car le sien était aussi le leur. Il était celui qui avait disparu, introuvable et considéré comme mort et ils étaient de ceux qui l’avaient enfermé à double tour dans cette tour obscure, dans ce lieu de torture, sans même écouter sa version, sans même chercher les preuves de sa dite culpabilité (car il n’y en avait aucune).

« Comme c’est opportun. »

Un sourire alors, qui n’avait rien d’amicale. Un sourire qui de ce visage abîmé n’était qu’une bien faible vision de l’horreur que Tom avait vécue.

« Tout est si bien calculé, tu ne trouves pas ? »

Si parfait, que tous ces événements se soient ainsi enchaînés. Et si son regard se tourne finalement pour observer par la fenêtre de la calèche, car le monde n’existait plus de ses yeux. Lui qui avait aperçu durant ces trois années que les barres de métal de sa prison et le ciel noir qui s’y faufilait. La mâchoire serrée dont la pression s’accentue avec la maigreur de son visage. L’esprit qui ne percute même pas avec cette notion d’attentat, lui qui n’était au courant de rien dans son trou à rat.

« Une aventure parfaite pour quelqu’un qui n’a rien à perdre. »

Qu’il murmure pour lui-même.

Quelques idées alors, sur cet argent qu’il pouvait malgré tout accepté. Non pas pour lui, car la douleur est si forte qu’il ne pourrait pas se permettre d’en accepter un gallion. Mais peut-être qu’à défaut de ne rien en faire, il pourrait permettre un meilleur avenir pour Eliott. Pourtant la mâchoire qui ne se desserre pas, cela serait contre ses principes. Quand bien même cela pouvait être bénéfique à son jeune enfant.

« J’espère bien que tu l’es, quand bien même je pourrais douter de ta sincérité. »

Qu’il claque d’une lourdeur, bien que la dernière partie de sa phrase s’apparenterait plus à un susurre qu’autre chose. Des paroles qui, une fois encore, ne lui ressemblait pas. Des propos qu’il viendrait à regretter plus tard, lorsque ses pensées seront un peu plus claires. Car avoir été enfermé si longtemps par sa faute, n’était pas une raison pour oublier les dernières années qu’ils avaient passées ensemble. Celle où il lui avait eu confiance en lui, celle où il lui avait appris et confié. Un temps qui pourtant, aurait dû lui faire comprendre que cette histoire était étrange, presque irréel. Mais la rage qui l’habitait l’empêchait toute compréhension face à lui.

« Comment ça qu’est-ce que je sous-entends ? »

Tu es devenu idiot en plus ? Son corps qui s’était raidi pour se relever, pour lui faire face, mais toute l’activité moteur de son être, c’était stoppé net. Alors à défaut, c’est une expiration nasale qui se libère avec dureté, semblable à une moquerie.

« Tu n’as même pas l’impression que cette histoire est trop bien coordonnée pour arriver comme ça, bras ouvert à demander pardon. Si bien ficelée, d’avoir perdu la mémoire après l’attaque du camp et de l’avoir retrouvé soudainement ? Tout s’enchaîne avec une telle simplicité alors que je croupissais à Azkaban. Ah ! »

Et qu’à ses yeux, cette dernière partie n’était dû qu’à un favoritisme certain dans le monde des sorciers.

« C’est sans doute ça, la véritable magie hein ? »

Celle de pouvoir se sortir de toutes les situations sans la moindre égratignure.

Un rictus pour toute grimace.

En tant normal, il aurait eu beaucoup à relever. Beaucoup à questionner. Peut-être cependant, que sa bonté et la confiance qu’il offrait autrefois à Clovis l’aurait fait taire. Aurait renfermé toutes ses problématiques aux mots près, à son égard, lui qui était pourtant connu pour sa simplicité d’esprit et de pensée. Alors la vérité, c’était plus la douleur et la trahison qui hantaient dorénavant son cœur qui semblaient guider ses actes et ses paroles. Alors bras croisés pour maintenir ses épaules lourdes et fragilisés par l’enfermement. Il tente malgré tout d’hausser les épaules d’une façon bien maladroite et inachevée.

« Quelque chose ? »

Qu’il rigole, ou du moins, fait simplement ressortir ses dents qui s’écrasent entre elles.

« Et maintenant tu chercherais à dire que tout cela était l’idée de "quelque chose de plus grand que nous" ? »

Ah. Si seulement Tom savait qu’il était si proche de la vérité. Mais ses mains se serrent tellement entre ses bras qu’il en vient à s’enfoncer les ongles bien trop longs dans sa paume. La pensée que dorénavant, Clovis se dédouanait des malheurs de son mentor. Quand bien même, dans les faits, le sang-pur était entièrement innocent, lui aussi piégé dans l’attaque et dans cette perte de mémoire. Tom ne pouvait s’y résoudre, car son inconscience avait besoin de lui comme unique coupable. Lui et ses parents, il en avait besoin que cette haine suite à sa libération soit envoyée vers eux.

« Que l’attaque et ta disparition ont été orchestrées par une tierce personne pour m’enfermer et bien d’autre ? Quelque chose de bien grand et bien fort, hein ? »

Qu’il pourrait avoir l’impression d’avoir l’esprit bien plus vif qu’autrefois, alors qu’il ne fait gage que de moquerie. La chance et le karma n'était pas quelque chose qui existait à ses yeux, chacun agissait d'une façon qui lui était propre.

« Ça me fait de belle jambe que de savoir le monde contre nous. »

Un rire d’une simple sonorité, plus apparente à un mélange entre un hoquet et une expiration nasale. Car tout cela ne lui donnait qu’une unique impression ; celle de faire face à une mascarade. Une mauvaise blague, de bien mauvais goût. Lorsque la calèche semble arriver à sa destination, un nouveau haut les cœurs, nausée qui remonte mais qui est stoppé net. Les mouvements, bien que contrôlé, étaient trop soudains pour Tom. L’inquiétude légère, qu’il serait incapable de se réhabiter au monde qu’on lui avait arraché.

Qu’il lui avait arraché et qu’il venait lui rendre sur un plateau d’argent, comme s’il était possible d’oublier ou d’en faire une quelconque abstraction. Alors les sourcils qui se froncent lorsque Clovis vient bloquer la porte. S’imagine peut-être une confession, bien qu’à quoi bon. Tom n’espérera plus rien de lui, incapable d’offrir une confiance qui avait été ainsi bafouée.

Une grimace qui s’affiche sur son visage face à la nouvelle. La blague n’était donc jamais finie ? Ne pouvait-il pas le laisser croupir, à Azkaban ou dans une ruelle sombre de Londres ? Car quand bien même Tom souhaiterait être dur, têtu même, il était impossible pour lui, pour cette âme égarée, d’ignorer ces mots. Son rêve d’enfant, sa raison de son existence, l’envie depuis toujours d’être comme son père. Un bien qui lui était rendu, un titre qui était pourtant la raison de toute cette histoire.

Alors le regard est dur, l’envie d’une violence qui à cause de toute sa faiblesse physique reste enfermée. N’offre comme toute réponse, le silence. Des mots qui pourtant, auraient pu lui réchauffer le cœur s’ils ne venaient pas de Clovis.

D’un grognement finalement, qu’il descend maladroitement de la calèche pour suivre son escorte avec une difficulté accablante.