De retour au bureau, c'est presque comme avant ton départ. Presque seulement, car l'ambiance est devenue lourde et pesante. Les attentats ont laissé une marque sur tous les visages et ta nomination a remis ta mort en question. Tu es bien vivant, pour tout ceux qui avaient déjà fait le deuil de leur collègue disparu. Renouer avec certains est plus difficile que d'autres - si pour la majorité d'entre eux, te revoir fut une bonne surprise, d'autres témoignaient d'une rancoeur muette à peine subtile, percevable dans vos échanges.

Et c'est pour en avoir le coeur net que tu as convoqué Chance dans ton bureau, prétextant un entretien annuel, pour faire le point sur ces dernières années, sur les derniers dossiers - sur son attitude et son ressenti au travail. Tu l'entends toquer et te lèves, lui ouvres la porte et étires un sourire timide et pudique. Tu lui tends la main et papillonnes de cils, ne te rétractes pas pour autant même s'il en met, du temps, pour accepter de la serrer. Tu fermes le poing une fois ce premier contact terminé et souffles par le nez.

— « Chance. J'espère que je n'ai pas interrompu des dossiers d'importance capitale. »

Tu as connaissance de ces dossiers, c'est par mesure de politesse.
Retournant derrière ton bureau, tu prends place dans ton siège après l'avoir invité à t'imiter. Croises les jambes sous la table, croises les bras dessus. Tu ne montres aucunement tes émotions Clovis, te parant de sourires factices pour ne pas lui communiquer ton stress. Pour ne pas lui faire croire que tu revêts l'habit de la proie.

— « J'ai comme l'impression que mon absence prolongée a jeté un froid sur notre bonne entente passée. »

Tu fais la moue, te montres très expressif.

— « Et je ne vais pas mentir, cela me peine. Je te sens amer, et si je le comprends, je veux que tu saches que je ne souhaite en rien bousculer tes habitudes. »

Si tu ne t'attendais pas à de grands discours et à des rires sincères durant cet échange, tu n'es en effet (du coup) pas déçu. Malgré l'amertume qui s'écoule en flot de sel sur ses lippes pales, tu perçois une once d'espoir, vite balayée quand tu perçois qu'il te sera plus ardu que prévu de regagner cette complicité d'antan. Chance n'a jamais été de ceux qu'on dupe habilement par des sourires factices ou des services.

Tu serres les dents l'espace d'une seconde alors que tu fixes d'un air sérieux tes papiers, crispé. C'est ainsi qu'on doit la définir ? Tu relèves les yeux vers lui pour le dévisager un instant, plissant légèrement les paupières avant de sourire. Ça allait être long.

— « Je ne sais pas ? Comment définirais-tu ceci : quand on disparait, qu'on est présumé mort, que quelqu'un est accusé de notre meurtre, qu'on a un enterrement... et que subitement, on revient. »

Tu le défies un instant.
Oui, toi aussi tu peux être amer, mais tu détestes les sous-entendus et les coups bas. Tu rentreras dans le tas s'il le faut.

— « Une absence prolongée, ça m'irait. Si ça te va ? »

Tu croises les bras sur ton bureau. Tu comprends que Chance peut t'en vouloir - c'est un sentiment dur à accepter, d'avoir été apprécié et maintenant critiqué.

— « Je sais que mon père n'a pas été tendre pour les gens comme toi durant son mandat. »

Tu mets les pieds dans le plat une deuxième fois.

— « Je ne suis pas comme lui. »

Chance n'a pas l'air de vouloir continuer de faire semblant. Quand il remet les choses au clair, quand il étale clairement les dossiers sur la table, tu ne peux qu'hausser poliment les épaules et agréer d'un mouvement de tête. Ça t'arrange de ne pas passer par quatre chemins pour te faire comprendre - cependant une petite partie de toi veut quand même lui rappeler que cela ne t'empêche pas d'être son supérieur, et que son manque d'enthousiasme au travail ne sera jamais répréhensible, mais l'insubordination, oui.

— « Très bien, comme tu le souhaites. Ça m'aurait embêté d'avoir du être encore plus subtile. »

Tu avais espéré réveiller quelque chose en lui, avoir soulevé une émotion (n'importe laquelle) en mentionnant le mandat de ton père. Tu avais été très au courant des lois plus que rétrogrades qu'ils avaient tenté de faire voter. L'une d'entre elle était d'ailleurs passé, annulé dès que Bathilda Goldstein avait repris le pouvoir le mois dernier.
Le pire Lestrange disparu, le monde magique a désormais peur de savoir lequel de ses enfants reprendra le flambeau.

Tu fronces les sourcils.
Chance te demande de prouver que tu n'es pas comme ton père. Ça te met hors de toi, et la colère ne fait qu'un tour, tu tapes du poing sur la table pour interrompre votre discussion.
Le souffle court et le regard prédateur, tu le dévisages, fulminant. Tu te racles la gorge et passes une main sur ton front. Tu attrapes une bouteille d'eau déposée sur le côté de ton bureau pour boire un coup et réponds d'un ton plus sec.

— « Je n'ai rien à te prouver Graves. »

Je ne suis pas comme lui, c'est tout.
Les yeux font des étincelles et la lèvre se pince. Tu n'es pas comme lui mais un morceau de lui vit accroché à toi en permanence, se décalque progressivement. Tu as de moins en moins la force de retenir la porte fermée, sur laquelle il s'acharne à frapper depuis trois années.

— « Je pense que je l'ai assez fait toute ma vie. »

Tes émotions sont trop instables et tu peines à contenir les mots qui dépassent désormais ta pensée.

— « A la maison, à l'école, à l'examen, durant mes années de bons services dans ce bureau. »

Tu le toises, vexé.

— « Je suis désolé que ta condition ait rendu ta vie difficile. Et je suis désolé que la mienne fut par opposition, beaucoup plus simple. Mais je ne suis pas comme ce fils de pute, est-ce que c'est clair ? »

Oui. Sa réponse succincte te prend de cours. Tu avais espéré (une partie de toi) qu'il surenchérisse, qu'il s'énerve, qu'il te manque de respect et qu'il te réponde - pour te donner une bonne raison d'exploser. Mais là, rien. La grenade est dégoupillée mais il n'y a aucun ravage. Tu ravales ta rage, alors, et redescends en pression. Tes yeux le fixent avec intensité et la chaleur qui les habitait s'efface pour qu'ils redeviennent deux piliers de glace. Tu soupires et conclues donc le conflit par un simple

— « Bien. »

Tu es mal à l'aise Clovis, tu culpabilises un peu de t'être emporté - juste assez pour que tu détournes le regard le premier. Tu tries machinalement tes papiers sur le bureau, prêt à le congédier, quand finalement il brise le silence. Tu es un peu surpris par sa question mais ne te démontes pas pour autant.

— « Les gens comme toi ? »

Tu fronces les sourcils, décontenancé mais encore une fois, tu prends sur toi pour rester commode. Tu ne veux pas qu'il te pense déjà inapte à gérer tes émotions. Tu es son patron, certes, mais un employé peut avoir tout autant de pouvoir, quand il s'agit d'être légitime à renverser ceux qui ne sont plus dignes de les diriger.

— « Je sais qui était mon père. Je connais ses opinions, et j'ai eu vent des lois absurdes et injustes qu'il a essayé - et réussi d'ailleurs - à faire passer. »

Tu te racles la gorge.

— « Ce n'est pas grand chose et sans doute c'est déplacé, mais j'aimerai m'excuser au nom de la famille Lestrange. »

Ton regard se fait plus doux (désespéré et triste).

— « Nous étions amis avant Chances... Collègues, certes, mais nous nous entendions bien. »

Tu ne veux pas que ça soit une cause perdu.
Mais tu ne veux pas (plus) paraitre faible.

— « Tu sais quoi ? Laissons ça derrière nous. Tu as du travail, je crois. »