Il erre, Tian.
Loin de l'église qui a bercé son après-midi, loin des douceurs du Seigneur et de son pardon, loin de la droiture de la voie du clergé, de la voix du pasteur, des murmures qui s'échappent du confessional, il erre dans les tréfonds sombres de Londres où se terrent les rats. Où se terrent les gens
comme ça. Comme
lui. Il se rend bien compte qu'il a beau jouer les enfants de l'église, il n'en est qu'une pâle copie. Qu'il en ferait rire bien plus d'un connaissant son métier s'il disait passer ses journées à prier.
Mais il est là, Tian.
A jouer entre ses doigts avec le rosaire qui pend du cuir lié à son avant-bras. Le pas serein au milieu des coins de rue qui le tiennent loin de chez lui - si l'on peut appeler ça un chez soi. Un hébergement délabré trop épuré pour appartenir à une quelconque âme. La Bible sur le recoin d'une table, un bracelet de prière rangé dans un tiroir comme seul vestige d'une enfance paisible. Et dans un coin, pliés, le résultat d'un jury -
coupable. Mais il avait été témoin.
Alors il est là, Tian.
Mais son âme se tient loin, au travers des mers et des cieux, encore enfermée dans un tribunal, si bien qu'il ne fait pas attention à un visage trop banal. Malgré les yeux qui se croisent, il n'y fait pas plus attention. Pourtant il sent une certaine animosité lui échapper, un certain agacement qu'il ne pense pas mériter. Une silhouette qui s'avance, bien plus grande que la sienne. Pourtant, il est là Tian. Il ne bouge pas. Donne l'impression d'être inébranlable quand il est porté sans cesse par la brise. C'est peut-être la Sibérie qui l'a cloué au sol, celle qui se porte à lui sans qu'il n'ait rien demandé. Mais il ne stalk personne, et certainement pas un
inconnu. Il devrait savoir, pourtant. Comprendre la leçon - mais chaque fois c'est la même pièce qui se joue, le même ton monotone et le même regard nonchalant, désintéressé d'une personne qui pourtant n'a jamais cesse de l'agacer.
▬ T'es qui ?
Qu'il pencherait presque la tête sur le côté.
Le jade qui caresse ses joues, le col d'un sweatshirt qui révèle le col roulé qui remonte sur son cou ; chaque fois la même peinture, les mêmes oreilles bafouées de cicatrices qui se laissent apercevoir comme les piercings qui les déguisent.
▬ J't'ai jamais vu, j'vois pas de quoi tu parles.
Mais tu ne vois jamais rien, Tian.
Vu que tu passes ta vie à t'aveugler,
A te bander les yeux.
A
oublier.