Tu ne devrais pas être là.
Tu ne devrais pas faire ça.
C'est stupide.
C'est dangereux.
C'est désespéré.

Pourtant, tu slalomes entre les gens, drapé dans ta cape d'invisibilité. Pire qu'un voleur, si seulement t'avais été là pour voler ou saboter, mais non. À chaque pas tu te dis que tu vas faire machine arrière, reculer, rentrer chez toi, rester digne. À chaque pas tu te dis qu'il va te rire au nez, te regarder avec un dégoût (pour une fois) mérité. Pourtant, t'avances encore, slalomes entre les gens, entre les tentes. C'est stupide, dangereux, désespéré. Oui. Désespéré.

Tu sais qu'il est là, derrière ce rideau de tissu. Tu hésites, attends quelques secondes. Dans ta poche tu sens le poids de la petite boîte ouvragée que tu as amenée avec toi. Tu devrais partir, rester digne... Seulement, tu lui en veux. Alors tu passes l'entrée de sa tente, te défais de ta cape que tu laisses pendra à ton bras.

— Un privilège ? J'aurai plutôt dit "mon droit le plus strict".

Tu attends qu'il se retourne, probablement choqué. Tu le dévisages, un sourire narquois plaqué sur le visage.

— Bonjour, Boucle d'or.

La vérité, c'est que t'as déjà envie de fuir, que t'as déjà honte, que t'as déjà mal. Mais tu lui en veux tellement. Et vous n'avez pas changé, toi, comme lui, vous êtes aussi puéril l'un que l'autre.

— Ne t'en fais pas, personne ne m'a vu.

Tu agites doucement la cape à ton bras avant de le déshabiller du regard. Le blanc lui va bien. Tellement bien. Ses boucles sont parfaites, le costume lui sied à merveille.

— Tu es magnifique.

Dit une seconde avec toute la tendresse du monde.
Puis soudain tes lèvres se pinces dans une grimace dégoûtée ton visage se ferme.

— Oui, magnifique...

Tu n'as rien à faire là, qu'il dit. Tu réaffirmes ton sourire, le dévisages, les reproches qui débordent déjà.

— J'ai cru comprendre, oui, après tout je n'ai pas reçu d'invitation.

Tu t'approches, à le voir acculé contre sa coiffeuse une partie de toi se sent soulagée, apaisée. Il ne prend aucun plaisir dans cette entreprise, dans son regard il y a de la colère, mais tu le connais, le connais mieux que tu ne te connais toi-même. Il est fébrile, tiraillé, frustré. Il est en colère, oui. Seulement, il est en colère contre lui.

— Rassure-toi, je ne te le reproche pas. Je préfère me pendre que d'assister à cette mascarade.

Tu détaches le dernier mot non sans cruauté. Mascarade. Parce que c'est ce que c'est, n'est-ce pas ? Et il aura beau se traîner jusqu'à l'autel, jurer fidélité à Darya, il aura beau la tromper elle et le monde qui les regarderont, tu sais, il sait, que tout ceci n'est qu'une grotesque parodie. La marque de son échec, de ses faiblesses. Lui qui avait toujours rêvé de liberté et qui se passait de lui-même la corde au cou.

Tu jettes ta cape contre le dossier d'une chaise, fourres la main dans ta poche. Tu le toises, violent, possessif, te plante juste devant lui.

— Je suis venu t'offrir un présent. C'est de coutume, n'est-ce pas ?

Tu sors de ta poche un petit écrin ouvragé dans lequel il pourra trouver une unique boucle d'oreille argentée, identique à la nouvelle qui trône à ton oreille droite. Boucle d'oreille dont l'intérieur est gravé d'un "V & C". Vanille et Chocolat. Clovis et Jasper.

Tu fronces légèrement les sourcils, ne le bloques pas encore totalement contre la coiffeuse.

— Tu comptes donc vraiment aller au bout.

Pas tant une question.
Tu lui déposes l'écrin dans la main, souffle en attendant sa réaction.

— C'est ridicule, ce mariage est voué à l'échec et tu le sais.

La boite lancée plus loin sur la coiffeuse, tu fronces les sourcils. Ton regard revient vers lui, lui et ses airs de bête acculée. Tu ne peux pas nier le plaisir que ça te procure, comme une forme de justice que tu te rends. Tu ne peux pas nier la culpabilité, aussi, parce que tu ne te serais jamais cru capable d'aimer le punir. Quand êtes-vous devenu aussi cruels l'un envers l'autre ?

Tu secoues la tête, t'approche de lui, si prêt, te penche presque ton souffle contre ses lèvres... Pour tendre simplement le bras, récupérer la boîte.

— Menteur.

Tu restes là, quelques secondes insupportables. Pulse l'envie de goûter sa peau, te retient en te redressant. Soudain impitoyable quand tu balances toute la vérité. Toute sa vérité.

— T'as jamais été un grand bosseur, Clovis. T'es incapable de t'investir sincèrement dans ce qui ne te fait pas envie.

Tu le juges, lui adresse un sourire.

— Et une vie commune avec Darya Black ne te fera jamais envie.

Quelque part tu te trouves horrible. Quelque part tu te trouve juste. La vérité c'est que tu as essayé de prendre sur toi, d'accepter, d'être dans la sainte abnégation qui t'a toujours caractérisé le concernant. Mais tu ne peux pas, tu ne peux plus. Le petit servant s'est trouvé une nature revancharde et égoïste qu'il ne soupçonnait pas. Le petit servant veut sans concession. Et tu le veux, lui, sans concession, sans te cacher, sans avoir peur d'oser.

— Tu veux que je te dise comment tout ça va se passer ?

Tu le dévisages, viens tapoter la boite du bout des doigts.

— Tu vas monter à l'autel la mort dans l'âme, tu culpabiliseras chaque putain de seconde que durera cette cérémonie parce qu'aussi belle soit Darya, tu réaliseras que ce n'est pas elle que tu veux voir. Tu feras semblant d'être heureux, tu devras retenir ton amertume des heures durant. Peut-être boiras-tu pour rendre tout ça plus supportable mais le soir venu, quand tu te coucheras à côté d'elle tu seras incapable de la frôler du doigt. Tu fixeras le plafond comme un con et tu ne pensera qu'à l'armoire à disparaître, qu'aux quelques pas que tu aurais à faire pour oublier cette journée. Et ce sera comme ça, chaque jour que dieu fait. Parce que tu ne sais pas te satisfaire de ce qui ne te plaît pas.

Et moi je te plais, n'est-ce pas ?
Tu te penches un peu plus vers lui, inquisiteur, ton regard dans le sien, cette fois-ci tu l'accules pour de bon, ne lui laisse aucun espoir de fuite. Sévère (suppliant quelque part) quand tu viens poser ta main contre la sienne, sur la coiffeuse, prendre son menton entre tes doigts.

— Regarde moi dans les yeux et ose me dire que c'est ce que tu veux.

Y a tellement d'amour, de chagrin et de reproche dans tes yeux.

— Ose me dire que tu ne veux pas autre chose, Clovis.

Ose me dire que tu ne me veux pas, moi.

Ça te tue. Ça te tue de le voir essayer si fort. Essayer pour elle. Ça te noie sous la jalousie, ça te lacère la gorge d'amertume, le bide d'acide. Il n'a pas le droit. Pas le droit de te faire ça. Il a encore moins le droit de venir capturer ta bouche pour ensuite te parler de devoir. Ce même devoir qu'il a toujours souillé, qu'il souille encore à prendre tes lèvres alors qu'il n'est plus qu'à quelques mètres de l'autel. Et tu devrais le haïr, Jasper. Ah. Si seulement...

— Clovis...

Dos à toi, aussi fuyant qu'une bête apeurée. Tu le hais, tu le hais, tu le hais. Tu l'aimes, tu l'aimes, tu l'aimes. Vous êtes beaux à vous faire sombrer mutuellement en enfer. Tu t'approches, glisses tes bras autour de sa taille, souffle contre sa nuque.

— Tu ne dois rien et à personne. Tu le sais, tu as juste peur de l'admettre.

Tendresse acide, c'est lui qui te l'avais appris.

— On pourrait tout envoyer en l'air, personne, ni rien ne dépend de nous en vérité. Tout ça c'est des conneries, tu le sais, Clovis...

Mais tu sais au fond de toi, qu'il ne changera pas d'avis. Parce qu'il n'est plus le soleil guerrier d'autrefois. Clovis, n'est plus qu'un lionceau craintif qui doit s'improviser roi. Et il te fait pitié, cet homme-là. Pitié que tu lui renvoies dans la glace avant te laisser aller ton front contre son épaule.

— Je t'aime.

Tu l'achèves et toi avec. Tu le libères ton étreinte, espères secrètement de surprendre ses larmes. Tu le forces à se retourner pointe ton cœur du doigt.

— Tu l'as pris sans jamais vouloir me le rendre.

Tu pointes le sien, violent.

— Mens à ta future femme, je l'ai pris et je ne te le rendrai pas tant que tu ne m'auras pas rendu le mien.

Tu le fixes, sévère. Il ne te le rendra pas, ton cœur. Il ne le peut pas. Il ne le veut pas. Parce que ça a toujours été vous deux, juste vous deux. Ça sera toujours vous deux. Il n'y avait aucune place pour un quelconque trio. Tu vas le lui rappeler, tu es spécialiste dans les leçons meurtrières, Jasper.

— Rends-le-moi et supprime moi définitivement de ta vie, Clovis. Ou embrasse moi et assume que tu n'appartiendras jamais à Darya Black. Choisis.

Tu attends, douleur furieuse dans le regard. Tu as toujours été là. Tu lui as toujours été fidèle, loyal. Tu as été son ombre, son soleil, quelques fois. Tu esquisses un pas en arrière comme pour mettre à exécution tes menaces.

Et tu l'aimes aussi pour ça, tu crois. C'est complexe, la vérité c'est que tu aimes chaque partie de lui que tu détestes. C'était si simple autrefois de se soumettre, si simple de se cacher dans son ombre de se laisser ballotter aux grès de ses envies et lubies. Tu as aimé cette existence soumise, parce que tu ne t'es jamais pensé leader, jamais pensé grand. À choisir, tu aurais aimé rester ce serviteur sans autre ambition que celle de servir. C'est peut-être ça qui cloche, ça qui t'atteint à ce point. Ta seule ambition a toujours été de servir, pourtant la vie fait que tu es désormais à la place du dirigeant. La vérité, c'est que ton maître absent tu avais sombré dans l'alcool, et qu'aujourd'hui qu'il était revenu, tu te frustrais de ne plus pouvoir reprendre ta place d'antan. Tu l'écoutes, aussi injuste que cohérent. Tu baisses les yeux, les fermes, songe un instant. Sa poigne autour de ton bras, l'ordre qu'il prononce. Il veut que tu restes, tout en sachant pertinemment comment ce sera meurtrier de le savoir et de le voir au bras d'une autre. Il t'ordonne de ne pas l'abandonner. Tu rouvres les yeux, le bleu de tes yeux aussi pâles que le sien est éclatant. Si Clovis était le soleil, toi tu étais la lune.

— J'ai essayé. J'ai essayé tellement de fois ces dernières années.

Tu crois, que pour la première fois, tu as besoin de lui dire, d'être celui qui parle. Écouter Clovis, tu n'avais fait que ça depuis tes onze ans. Aujourd'hui, avant qu'il ne passe cette foutue bague au doigt de Darya, tu as besoin qu'il t'écoute toi.

— Tu es mon fléau, Clo.

Tu glisses une main contre sa joue.

— Ce n'est pas mon père qui m'a fait le plus souffrir dans ma vie, c'est toi. Tu m'as fait souffrir en partant, tu me fais souffrir encore plus maintenant que tu es revenu. Si tu savais comme j'ai essayé de te détester, comme j'essaye encore maintenant. Parce que tu vas me faire souffrir encore.

Le plus cruel, c'est de balancer cette vérité avec la voix la douce et amoureuse du monde. Du bout des doigts, tu te perds dans ses magnifiques boucles. Clovis est la plus belle œuvre d'art du monde.

— J'ai besoin que tu souffres comme je souffre. J'ai besoin que tu perdes comme je perds.

Tu te rapproches, laisse ta tête se nicher dans le creux de sa nuque, ton souffle chaud effleurer avec indécence sa peau.

— J'ai besoin de savoir que ce mariage sera un enfer pour toi.

Lèvres tentatrices sur son cou, ton corps qui se presse lascivement contre le sien.

— Ne m'abandonne pas...

Soufflé, insupportable.

— Dis-le-moi... Montre-le-moi... Tu as dit que j'aurai tous le reste.

Tu le feras se marier, l'oreille meurtrie de la laisse que tu vas lui passer.

Je sais.
C'est Ambivalent. Paradoxale.
Tu lui en veux, c'est certain. Tu lui en veux de mentir, de ne plus être ce soleil qui a la force de choisir. Tu lui en veux, de ne plus être ce guerrier indomptable, puissant. Tu lui en veux d'être plus faible que toi. C'était facile, d'être celui a sauvé, d'être celui qui subit. Mais tu es reconnaissant. Dans le fond de ces sentiments qui oscillent entre le beau tragique et l'immonde passion, y a de la reconnaissance. C'est pas toi. C'est lui. C'est de sa faute, pas la tienne. Là aussi, c'est facile, on préfère toujours être victime que coupable.

Ton corps contre lui, tu sais plus si c'est l'amour, la colère ou la simple peur de le perdre qui guide tes gestes. Besoin pressant de le sentir, de retrouver son soleil de nouveau, de brûler sous ses rayons. Besoin pressant de te rassurer, de le sentir, lui, ce qu'il prétend ressentir. Parce que plein d'insécurité tu te mets à douter. Darya il devait la détester, l'utiliser. Pourtant, il se comporte comme un Roméo coupable et plein de bonne intention. Ça te retourne l'estomac. Tu as peur. Tu ne veux pas. La vérité c'est qu'aussi grand et fort sois-tu, aussi méprisable soit-il, t'es rien sans lui. Et c'est réaliser ça alors qu'il tremble entre tes bras et que tu sens l'humidité de ses larmes contre ta peau qui t'ébranle.

— Alors jamais.

Tu souffles. Recule ton visage pour lui faire face, l'inviter à te regarder, sans pour autant trouver la force ou la pitié de te détacher de lui.

— Je te veux toi. Et toi ?

Et parce que tu anticipes ses fuites.

— Et ne parle pas de devoir, de vouloir ou de je ne sais quoi. Il n'y a que deux réponses possibles : oui ou non.

Il suffit de tourner autour du pot.

— Oui ou non.

Tu approches de nouveau ton visage du sien, cueilles du coin des yeux ses larmes.

— Oui je reste. Non je pars.

Et il sait que tu ne parles pas de cette tente, ni même de ses bras.

— Oui, je te passe cette boucle d'oreille et je t'attends. Non, je la jette et j'avance.

Ton souffle à ses lèvres, tu oses un baiser si léger qu'on peut difficilement le qualifier comme tel.

— Oui ou non.

Sois tu l'attends. Sois tu avances.
Un mot, une syllabe, tu ne peux pas le ménager plus que ça.

La victoire est amère. Et tu te demandes, Jasper, ce que t'as pu espérer d'autres en venant ici. Toi qui avais toujours eu un plan, te voilà devenu maître d'une improvisation grotesque qui ne sert à rien, si ce n'est à te donner la certitude de ne pas l'avoir encore perdu, pas aujourd'hui du moins. Mais demain... Ouais, amer est la victoire. Triste est ton regard quand tu le fixes un instant. Il semble être aussi abattu que toi et soudain l'éclat rieur de ses yeux te manque, tes soupirs exaspérés te manque, vous deux, le soleil, la lune, tout te manque. Vous n'auriez jamais dû quitter Poudlard. Non, rectification, tu n'aurais jamais dû l'appeler à être raisonnable. Ce Clovis là, t'es terrifié qu'il puisse vivre sans toi.

Tu te penches pour prendre l'écrin, en sortir la boucle d'oreille. Vous n'avez jamais donné dans le grandiloquent, car il n'y en avait jamais eu besoin. T'aimes ce qui est sobre et modeste, à votre image. Tu la passes entre tes doigts, relève le regard une dernière fois vers lui.

— Tu me manques, tu sais.

Tu scelles l'anneau à son lobe en même temps que tu pries pour vous retrouver. L'espace d'une seconde la sensation d'être revenu à cette époque où vous faisiez des imbécillités à l'ombre de vos chambres. Parce qu'on avait qu'une vie, parce que seul comptait l'instant présent. C'est peut-être ça le plus pesant. Ton regard tourné vers la nostalgie passée quand tu hurles le besoin d'un avenir à ses côtés. T'as le cœur lourd et la gorge chargée d'une envie de crier quand tu écartes ses boucles contemple ta marque imposée (pas gagnée, ni demandée, imposée). Puis un sourire, aussi tranchant que sarcastique.

— J'avais imaginé que ce serait plus satisfaisant.

Tu baisses la tête, laisses ses mèches s'échouer contre sa joue. Perdu. Tu tournes la tête vers la sortie, à l'extérieur, la fête bat son plein. T'as jamais été bon joueur, lui gâcher la fête aurait dû être un soulagement. Il n'en était rien.

Peut-être un peu pour fuir, peut-être aussi pour sauver ce qu'il te restait de contenance et de fierté, tu tournes des talons va saisir ta cape d'invisibilité que tu passes par-dessus tes épaules.

— Tous mes vœux de bonheur.

Et tu disparais.