Au final Ashe la sensation indélicate des parasites dans l’esprit elle n’est pas qu’éphémère, peut-être trop longtemps s’est-elle manifestée et depuis, ne s’en va-t’elle plus. Comme un mensonge trop lentement façonné dans les mauvais présages ; contre l’échine frémir les maux et les fantômes, partout autour de lui, comme une hymne au désastre. Un désastre de ses mains façonnés et il n’y a que des questions qui résonnent en lui. Des questions sans réponses, des réponses qui semblent toujours faire sens au bord du vide alors elles l’assaillent, les pensées dévastatrices et contre sa peau, il en redoute les effets. Carnage comme conscience, il s’est habitué à avancer puis regretter. Qu’il reste de marbre ou qu’il s’évertue à essayer, les résultats ont toujours été si similaires, si déplorables. Comme cette silhouette morte-née qu’il forçait à avancer dans le début de soirée. Il a laissé ses pas tracer des sillons à travers les sentiers verglacés, peu importe les traces qu’il y laisserait.
Et derrière souvent il s’est retourné, comme pour vérifier qu’ils n’étaient pas là.
Les fantômes. Les démons qui le hantent et qui le blessent. Qui façonnent ses peurs et nourrissent ses terreurs. Qui rendent ses nuits plus blanches et ses cauchemars plus réels encore. Ces mêmes fantômes qui le pointent du doigt ; ceux qui s’empressent de l’entourer pour renfermer cette atmosphère déjà si anxiogène au quotidien.

Mais la brise est délicate, ce soir. Qu’elle batte contre son épiderme le laisse un instant s’enivrer - souffler du peu de répit que ce monde (le monde) lui apporte quand il n’est pas agrémenté par tout ce qui le hante.
De cette façon qu’il était entré, de ce même pas qu’il s’était trouvé ici, si confortablement installé. Aux travers du brouhaha ambiant, il ne trouve plus les fantômes, il oublie un instant - parfois s’entourer de n’importe quoi et n’importe qui permettait qu’ils s’effacent. Il oubliait les peines les plus ridicules, et peut-être que tout n’était plus intensément noir quand il la percevait, devant lui pour un peu plus d’ouverture au monde (et peut-être à soi-même), qui sait. Ils n’étaient là que depuis quelques minutes, mais cela avait suffit à ce que son esprit s’entrepose un peu plus. Peu délicat pourtant, que de la façon même dont il s’éprenait de ce verre entre ses doigts. Boire était peut-être la solution ; peut-être est-ce que cela libérerait son esprit, c’était après tout ce que certains se prêtaient à dire.

— Il y a du monde, ce soir. Comme tous les autres soirs, en réalité. Ce qu’il ne dit pas c’est qu’il y a bien longtemps qu’il ne s’était pas retrouvé ici, et encore moins face à elle. La dernière fois, ça c’était mal passé. Il n’avait pas contrôlé la colère ; c’était comme si le monde s’était évertué de révéler son esprit en peine, trop brusque et laid. Son orbe pourtant oscille entre elle et les alentours ; c’est comme redécouvrir ce à quoi ressemble la vie en société. Il a l’impression de s’être enfermé trop longtemps dans la peur. Mais elle persiste, et si les fantômes resurgissaient ?
Il allait probablement nécessiter de s’imprimer des couleurs de son verre pour mieux se sentir. S’imprégner même des rires lointains aux alentours et de cette attitude qu’elle abordait, Olenka toujours. Silencieusement simplement, il la remerciait du regard d’être là ; elle savait sans doute qu’il s’agissait de ce dont il avait besoin.

Olenka la présence vive, rassurante. Définitivement vivante ; pas comme lui dont le corps épave de trop de maux s’est avachi dans cette chaise pour finir par consulter chaque recoin avec mégarde. Qu’est-ce qui était arrivé la fois dernière, après tout ? Cette pensée mourut aussitôt dans son esprit ; il n’était pas seul cette fois-ci, et il savait pouvoir prêter une confiance presque aveugle à celle qui l’accompagnait.
Il n’empêchait qu’il y avait toujours ces terribles fantômes qui luttaient dans ses pensées, comme pour perpétuellement séjourner dans son esprit et à chaque fois il réussissait à obtenir ce qu’ils voulaient. Lourdement, son regard déposé sur son verre et ses oreilles attentives écoutent les mots qui s’écoulent. Il pourrait presque en sourire, de ces remarques ; la vérité c’est qu’il n’est qu’un spectre dans le ministère. Il ne fait que déambuler et agir comme on le lui demande, il a l’allure grossière mais il n’est sûrement plus aussi fier que fut un temps.
Peut-être parce qu’il a le poids de ses péchés à expier ; mais que ça lui semble trop cyclopéen pour être exprimé ou même songé. S’il en est là aujourd’hui, ce n’est sûrement ni de la faute du ministère ni de ceux qui les représentent (il en est en tout cas persuadé) et plus son esprit s’étouffent dans des questionnements insensés, plus il s’y perd. S’il est là, c’est avant tout parce qu’il le mérite, non ?

— Depuis la nuit des temps, nous nous protégeons nous-même. Enfin je crois. Ça ne change pas vraiment de d’habitude.. Les récents évènements l’avait prouvé. C’était sur eux-même qu’ils devaient compter ; Ashe s’en était toujours douté. De sa grande taille, il réussissait simplement à contempler ceux qui se pressaient dans les couloirs et à les écouter. Il semblait bien trop loin pour leur prêter main forte - ou même simplement les conseiller. Ces dernières années, il s’était trouvé parfois totalement déconnecté. Mais c’était de sa faute - peut-être qu’il s’était figé. Ashe se demandait comment Olenka pouvait-être si expressive quand il l’observait, pour se déclarer si haut et fort, quand bien même c’était une habitude.
Lui, depuis déjà fort longtemps, ne connaissait rien d’autre que les longs grondements et les silences sans fin. Alors quand sa main se pose sur la sienne, il s’en trouve un peu touché. Les contacts, cela faisait bien longtemps qu’il ne les avait pas ressentis aussi bienveillants. Et à son clin d’oeil et son expression, il pourrait presque rire. Mais chacune de ses paroles renvoyait à une montagne malveillante de maux ; ces mêmes personnes qui ont dernièrement façonné toutes ses peurs et ses idéologies sombres.
Ashe ne pouvait pas lui en vouloir, il était peut-être bien possédé par tout ce qu’il détestait fut un temps. Mais s’ils étaient ici ce soir, ce n’était sûrement pas pour ressasser ça ; et il espérait parvenir à chasser toutes ces frayeurs rien qu’un instant.

— Je donne tant cet air que ça ? Son sourire mal dessiné prend forme au coin de ses lèvres et pourtant, il se trouve presque un peu pathétique, à ce stade. Avoir l’air possédé, il ne savait pas qu’il en était à ce stade.
Et alors qu’elle lui assure être là, dans tous les cas s’il a besoin d’aide - il en profite pour relâcher ce fardeau qui le pèse. Cette pression qui se fait trop lourde et à son image, il vide un premier verre. Persuadé dans un coin de son esprit, que c’était la meilleure façon de se défaire de la pression. Peut-être même d’abandonner les doutes sans pour autant les lâcher complètement.

— J’y penserai. Tu seras sans doute plus efficace que moi. Ça sera drôle de te voir à l'oeuvre, aussi. Rire entre ses lèvres qui se dessine alors qu’il repose ce verre déjà terminé. Il ne peut pas demander à l’alcool de lui faire tout oublier du premier coup, mais il peut définitivement participer ; comme Olenka le fait déjà si bien. Quitte à rouler sous la table peut-être ; il se persuade qu’il peut s’oublier peut-être un instant, après tout, il n’y a pas de mal à ça, si ?

Elle a cette aisance Olenka, qu’il pourrait lui envier - s’exprimer haut et fort et porter ses convictions. Ashe lui n’est qu’un assemblage de non-dits, de longs silences qui s’éternisent et il ne peut toujours que s’en vouloir à lui-même. Pourtant par son honnêteté naturelle, il réussit un instant à délaisser ces remords qui lui pèsent lourds sur la conscience ; peut-être que cela faisait simplement longtemps qu’il ne s’était pas entretenu si naturellement avec quelqu’un. Longtemps qu’on ne l’avait pas considéré comme quelqu’un à part entière, une personne avant le reste - mais c’était toujours comme ça que c’était censé se passer, non ?
Et Ashe un instant délaisse ce sourire mort-né qu’il porte habituellement, de ces courbes trop tristes qui n’expriment que des affres brusques - une courbe délicate étire ses lèvres à ses mots alors qu’elle se saisit de la bouteille pour les servir de nouveau. Il y avait un aspect plus agréable à boire à deux plutôt que seul ; ça faisait une éternité qu’il n’en avait pas eu ce luxe. À ses mots, il ne peut s’empêcher un rire rien qu’en délaissant son imagination à ses mots.

— Impoli seulement ? Tu me diras, c’est une solution comme une autre.. Léger ; Olenka était plutôt douée, il devait l’avouer. Il aurait sans doute apprécié d’avoir sa compagnie au ministère, en réalité. Mais d’un certain côté, il était bienheureux qu’elle en soit épargnée - une partie de lui ne pouvait cependant pas nier qu’ils n’étaient réellement en sécurité nulle-part.
Et son unique orbe divague à sa question ; comment ça se passe ? Mal. À y réfléchir, ça fait longtemps que tout s’était dégradé mais tout était un assemblage de murmurs au travers de son esprit. Ashe savait que nier ne lui serait d’aucune utilité, après tout - il était là pour se délaisser de ces remords consistants. Le semble semblait s’acharner sur sa carcasse déjà fatiguée, mais Olenka l’avait déjà remarqué. Pour que l’attente soit moins brutale, il prit une première gorgée - l’éveillant un peu plus au passage.

— Je ne sais pas. C’est épuisant. Il est fatigué - elle est là la réalité. Fatigué de lui-même peut-être, des tâches incontrôlées qu’il entreprend mais qui peut-il blâmer, finalement ? Il n’y a que lui et ses doutes. Lui et les démons et il y a Parsifal, une lumière devenue bien terne désormais.
— Enfin. Avec les évènements récents, on ne peut pas dire que ça se passe si bien, mais je crois que c’est un peu le cas de tout le monde… Sûrement, qui n’était pas stressé par les évènements récents après tout ? Il existait sans doute une entité de monde dans son cas et Ashe toujours se confirmait que ce n’était pas si grave, il avait juste à être patient, après tout. Qu’il entre au ministère ou chez lui, on ne l’attendait jamais vraiment de toute façon - il y avait tant de maux qui pesaient lourds dans sa conscience mais peut-être que ce n’était pas si grave.
Il préférait effleurer l’idée qu’il finirait par s’enivrer à un point qu’il oublierait tout ce qui le confronterait de trop près à la réalité.

Ses éclats de rire son contagieux et l’espace d’un instant Ashe oublierait presque toute cette peine qui l’accable, parce qu’elle a longtemps persisté comme une sangsue agrippée à sa nuque ; elle était là à se bourrer des émotions les plus délicates et juvéniles et de son côté, Ashe avait le dos qui commençait à grincer.
Mais pas ce soir ; même si l’heure en était à son propre état - au ministère, Ashe on ne le regarde pas vraiment. Il faut souvent lever haut la tête pour s’adresser à lui et sa voix grondante, ses phrases en suspens font qu’on ne s’ose pas vraiment. Ou doucettement, comme s’il menaçait de s’effondrer à chaque fois.
Alors son ressenti, avec tout ce qui était arrivé récemment, n’était définitivement pas le meilleur. Mais il ne pouvait pas lui dire qu’il l’avait vu lui, le corbeau ; il ne pouvait pas lui dire tout ce dont il était responsable, tout ce dont il n’avait jamais voulu.
C’était un fardeau trop lourd à porter, et dans son silence il imaginait simplement Olenka ne pas lui en vouloir pour tout ça ; c’était un peu utopique, comme songe.

— Désolé, c’est surprenant. Au ministère, on est pas habitué à ce qu’on s’intéresse à « comment on va », tu vois. Rire nerveux ; pas moins honnête pourtant. Il n’était pas le seul, de toute façon. Qui se souciait réellement de leur état à tous ? Ashe était bon à se plier à ce qu’on lui demandait, il ne savait plus comment penser par lui-même. Il était devenu une coquille trop vide - même pour penser. — C’est si inquiétant et anxiogène.. Et il tente Ashe de trouver ces maux qui le pèse tant. Ses doigts s’accrochent au verre à nouveau rempli et il se laisse aller à une énième gorgée ; quand l’alcool vient brûler sa gorge il ne s’en étonne pas, mais se perçoit mieux. Plus vivement encore. — Tout le monde est effrayé, je sais pas combien de temps ça va pouvoir durer. En écho aux coffres ouverts à Gringott qu’elle mentionne. Ashe ne peut plus rire de ce désespoir qui s’étend, pas même du sien - pas même de celui des autres.

Pourtant même dans la misère elle réussit à le faire sourire de nouveau. À sa proposition il s’imagine un instant, et c’est vrai qu’ils pourraient, tous les deux - ils feraient largement l’affaire, non ?
— Eh bien je suppose qu’il vaut mieux être avec toi que contre toi ! Il se sent peut-être plus légitime de plaisanter, maintenant qu’elle l’a mis en confiance - et puis, c’est Olenka, après tout.
S’il pouvait bien se dispenser des tourments avec quelqu’un, c’était bien avec elle - — Mais je pense qu’on ferait une bonne équipe. En tout cas, je suis pas prêt de prendre ma retraite. Et à son tour qu’il amène en retour son verre pour les cogner - ce simple geste lui remémore pourtant cette solitude qu’il a trainé dans les bars depuis quelques temps déjà.
Définitivement à oublier aujourd’hui, qu’il a finalement ce sourire qui doucement s’éveille. Ça peut lui permettre d’espérer, au moins pour ce soir.

Il n’y a pas vraiment de bonnes réponses, qu’il se dit Ashe. Son point de vue, il avait toujours été terré, oublié. Il l’avait lui-même fait, parce qu’il ne lui avait jamais rien apporté. Il avait cessé de penser à son bien-être, car il était persuadé ne pas le mériter, persuadé ne jamais l’atteindre, pas même l’effleurer.
S’il avait intégré le Ministère, c’était pour faire ce qui lui semblait juste. C’était pour aider de son don et au final, qui aidait-il réellement ? Pas même lui, puisqu’il s’enfonçait toujours plus dans ses remords et les maux l’angoissaient.
Alors il ne répondait pas, Ashe. Parce que le silence devait être la meilleure réponse, parce que ça faisait un moment maintenant qu’il n’élevait plus si aisément la voix. Comme si elle se brisait à chaque fois, plus éphémère.

— Le malheur des uns est toujours le bonheur des autres, et inversement. Et dire ça, ça lui déplaît tout autant qu’à elle, il suppose. Mais il y a toujours cette extrême vérité, et il ne pourrait pas lui évoquer tout le fond de sa pensée, il était trop honteux pour s’y dérober. Personne n’y trouverait jamais son compte, si l’on devait prendre garde à tout le monde, et elle fanait l’idée d’une paix commune. Lui n’y avait jamais cru.
Il a le rire qui résonne subitement, trop honnête sûrement pour certains. Pour lui, c’était des mélodies qu’il n’avait plus effleuré depuis un moment.

— Tu es sûre de vouloir te mesurer à moi ? Je n’aurais aucune pitié, tu sais ! Pourtant, il doutait avoir sa chance. Les événements récents avaient été si démoralisants, et lui qui était habitué à entretenir sa silhouette pourtant massive avait totalement délaissé ça de côté. Désormais, rien n’avait vraiment d’importance quand ça le concernait. Il se surprend quand elle croise leurs bras, un geste presque fraternel quand il y pense - ou simplement amical. Ashe n’avait jamais connu d’ambiance de fratrie, mais il supposait que ça ressemblait à ça. Et ça lui faisait étrange, de trinquer de la sorte, pourtant ça n’était pas déplaisant, pas vraiment. C’était même agréable et il souriait, ne faisant qu’une gorgée de son verre. Plus rapidement ça descendait et plus aisément ça effaçait tout ce qui le rongeait.

— À notre lointaine retraite, comme tu dis. Enfin, ça c’est si tu m’envoies pas à l'hôpital du premier coup. Je suis sûr que tu caches bien ton jeu, je me trompe ? Il bavarde et efface les mauvaises songes, efface le Ministère, efface The Crow et sa colère, laisse les effluves de l’alcool border sa gorge jusqu’à ce qu’elle brûle du désespoir qui s’étend dans son esprit. Tout ce qu’il veut, c’est simplement oublier un moment tout ce qui le dépasse. Il aurait aussi aimé crier sa rage et toute son insuffisance, mais il refusait de briser ce tableau. Parce que si elle savait la vérité, alors ils ne trinqueraient plus jamais.

Une phrase de looser, peut-être qu’elle avait raison. D’une certaine façon, cette aspect léger lui avait décroché un sourire et un ricanement muet - mais de l’autre, il n’arrivait pas à s’y faire, parce que le bonheur des uns était toujours le malheur des autres, parce qu’il y en avait sans doute trop qui souffraient pour le bonheur d’inconnus. Mais évidemment, il ne pouvait pas spécialement comprendre parce qu’il était persuadé d’être le moins à plaindre. Tout le monde avait ses limites et il avait les siennes, tout le monde avait ses propres démons et les siens semblaient le suivre, plutôt que se noyer sur les gorgées d’alcool.
Peu importe ô combien la présence d’Olenka se faisait délicate et rassurante, peu importe ô combien son rire était contagieux. Il riait mais son esprit demeurait parfois effrité, totalement ailleurs - c’était lointain l’époque où il ne se souciait de rien.

— Non, je pense que je me fais juste vieux. Rire presque grondant, et il préfère en plaisanter. Parce qu’il se rend compte qu’il pense peut-être trop aux choses, et c’est sans doute parce qu’il se rend compte de tout cela maintenant. Jeune et juvénile, ça ne l’aurait peut-être pas intéressé. Il ne peut pas trop longtemps s’apitoyer sur son sort car les rires qui éclatent l’emportent toujours, lui sortent toujours la tête de l’eau quand cette dernière bascule.
Il savait qu’elle était une personne de confiance - qu’il pourrait peut-être lui avouer les maux qui le ronge, mais les comprendrait-il réellement ?

— Je t’en prie ! Je n’ai jamais de pitié, ça serait te manquer de respect.. Parce qu’il savait de quoi elle était capable, et il ne peut que rire de la voir le lui prouver en bandant son bras. Ça n’était même pas nécessaire au final, parce que ça se voyait, Olenka imposait le respect, à sa façon. Mais lorsque l’on percevait Ashe, on était plutôt du genre à reculer, c’était ce dont il était persuadé. Des mètres d’insuffisance répugnante, sans doute.

— Je ne peux en faire de même.. Je me suis ramolli dernièrement. S’il reste trop grossier c’est bien loin d’être sous cette forme rassurante qu’il abordait autre fois. Désormais, c’était lourd et parasité. Heureusement qu’avec ses bêtises, Olenka l’empêchait de s’accabler sur son sort ; et alors son rire qui éclate en écho de sa baguette qui s’échoue en un tintement font qu’il ne peut s’empêcher de glousser.

— Encore faut-il savoir tenir une baguette, ma chère. Qu’il dit en taquineries ; avant de pêcher cette dernière juste après sa baignade. Savoir qu’il pouvait simplement en rire et plaisanter était suffisant pour qu’il se sente rassuré, même si c’était simplement pour ce soir.

Elle a le rire contagieux, même s’il est trop délicat de lui en arracher Ashe ; de cet alcool qu’il tient si bien après tout, il éprouve plus de difficulté à s’ouvrir, naturellement. Lui qui faisait pourtant ça si bien autrefois avait l’esprit morcelé et en rassembler les fragments s’avérait être une épreuve désagréable - pratiquement insurmontable quand il y pensait.
Il ne savait pas vraiment s’il désirait récupérer chacun des fragments, comme si ça n’arrangerait plus rien. Alors il se contracte un instant - gronde intérieurement parce que pourquoi Diable fallait-il qu’il ressasse et se noie dans les méandres de sa propre insuffisance quand il avait une bien charmante et agréable compagnie ?

— Si ce n’est que ça ! De toute façon, il n’a pas vraiment l’impression que ça changera grand chose pour lui. Il est tellement épuisé parfois qu’il ressent comme si son corps lâcherait presque ; mais Olenka était vive et elle respirait une jeunesse fleurissante. Même si presque rien ne les séparait - alors Ashe se disait qu’il était simplement peu résistant. Mais tourner cela à la plaisanterie l’empêchait de se morfondre.
Quand elle essuie sa baguette il ne réagit pas dans l’immédiat, sourit simplement parce que cela serait mentir que de dire qu’il n’est pas habitué à ce genre de réactions, ils étaient relativement proches non ? Assez pour être suffisamment à l’aise l’un envers l’autre. Probablement aussi, suffisamment pour être au courant de ce qui la tracassait.
Alors quand la question tombe finalement, la gorgée qu’il boit reste coincée - il tousse un instant, comme s’il n’avait jamais songé qu’elle puisse tomber. Elle n’était définitivement pas dupe et pourtant il avait tenté de répondre déjà, de façon floue, sans jamais réellement s’ouvrir.
Qu’est-ce qu’elle penserait de tout ça de toutes manières - il craignait simplement que la seule (presque) qui lui soit une compagnie bienveillante et agréable ne finisse pas elle aussi, reculer en le percevant.

— Mais, on parle bien pourtant, tu ne trouves pas ? Qu’il essaie de sauver les meubles, sachant très bien pourtant que son argument n’était pas recevable. Peu importe combien de fois ils tentent de passer au dessus, prétendre ne pas avoir vu cette atmosphère si différente des autres ; quelque chose grouillait et elle le savait, maintenant. Elle devait se douter que ce n’était pas agréable.
Et il n’insiste pas Ashe, pour esquiver le sujet. Ça ne marchera pas et il le sait ; simplement il craint ne pas savoir ni quelle direction prendre ni comment la prendre.
Ce n’était pas qu’il ne voulait pas - mais qu’il ne pouvait pas, qu’il ne savait pas, et tout prenait de nouveau la forme de fantômes cruels qui le traquaient non seulement dans l’obscurité, mais aussi de jour simplement quand il s’évadait.

— Tu le sais bien, le Ministère et toutes ces conneries.. C’est pesant, et déroutant aussi. Et si ce n’était que le Ministère, cette journée totalement ratée ; la réalité qui brûlait intensément autour d’eux. Lui n’y pouvait rien, parce qu’il avait à faire ailleurs. Et si ce n’était que le Ministère, et si ça ne concernait pas cette plume qu’il avait reçu, si ça ne concernait pas Parsifal qui s’effritait entre ses mains, et si ça ne concernait pas tout ce qu’il ne contrôlait plus, finalement.

Il l’écoute le regard qui s’effrite. Comme son esprit que l’alcool rend plus ou moins clair - mais plus jamais aussi déstructuré qu’à l’arrivée. Pourtant, son insistance est chaleureuse parce que quand était bien la dernière fois qu’on s’était soucié de lui - quand était bien la dernière fois qu’on se demandait pourquoi il s’était lui-même rendu plus muet qu’une tombe, et pourquoi dans sa grandeur, il était devenu aussi pathétique.
Et il perd son regard sur les doigts qui viennent enserrer son bras, décroche un sourire qu’il s’efforçait jusque là de chercher bienveillance - ça ne sert à rien d’être un simulacre avec elle, parce qu’Olenka était douée pour percevoir les petites failles. Peut-être les plus indélicates et Ashe se doutait qu’il n’avait plus le choix ; se tarir dans son silence ou se dévoiler quitte à ce qu’elle l’abandonne à son tour.
Il s’y refusait pertinemment. Pourtant s’il continuait de patauger ainsi, il ne verrait bientôt plus la surface - Olenka pouvait peut-être l’aider à y voir plus clair ? Partiellement peut-être.

— J’envie ta force. Parce que lui a beau le sembler, il n’en est rien. Il a la silhouette grossière mais l’apparence vide et flegmatique. C’est comme s’il s’efforçait d’y trouver du sens. Olenka le trouverait sans doute bien stupide s’il lui disait - mais le jugement est bien loin d’être la principale source de ses tracas. Alors quand elle l’évoque à son tour - Ashe à le sourire nerveux aux lèvres. Les sourires déformés par la nervosité qui disent simplement qu’elle se trompe - qu’en réalité le travail n’est qu’une source supplémentaire d’angoisse à quelque chose de taraudant qui persiste depuis déjà bien des années.
Comme de vieux démons qui le suivent et ne cessent de s’acharner - peut-être qu’il le méritait. Il a l’inspiration lourde de ceux qui ont trop à dire mais jamais ne s’y osent.

— Et si j’étais sur la mauvaise voie depuis le début. Et si simplement, il s’était trompé dans les décisions à prendre, s’il n’avait pas agit bêtement et s’il s’était contenté de ne rien faire, simplement regarder comme quand il a voulu sauver sa mère - comme quand il a voulu aidé Hua et qu’il en a été laissé borgne. Peut-être Parsifal lui-même aurait été sauvé de ne pas avoir croisé sa route.
Il a le regard qui tombe, les doigts qui se crispent sur la table ; le corps qui baigne de remords. D’hésitations ; il s’en veut déjà de ce monument mort qu’il lui présente parce qu’elle ne mérite pas de sécher ses larmes, elles sont trop indélicates pour être effleurées. Et quand son regard se relève il est presque honteux de se présenter si lâche.

— Le travail.. C’est pas grand chose. J’en ai besoin, sinon je coulerai. Peut-être que c’est ce qui lui permet de rester la tête en dehors de l’eau. Voir du monde, voir les gens ; ne pas voir les mêmes démons qui hantent ses nuits. Peut-être qu’il en a besoin pour simplement prendre l’air, simplement voir autre chose que son propre reflet immonde. Et il le doit, de toute évidence. Mais là n’est plus le problème depuis longtemps - même si le Ministère grouille de mensonges dont lui-même n’a pas idée.

Il est évident qu’il y a le revers du décor - il est évident aussi que certaines facettes méritent de rester dissimulées, et il le comprend mieux que quiconque, Ashe. Mais s’il ne trompait personne ? Si le jour venait où on le dévoilait, lui et sa laideur, en plein jour ? Alors il serait au centre, le plus détestable ; entouré de centaines de milliers de démons lui riant au nez. Car il s’était lui-même enfoui il avait lui-même composé les ténèbres dans lesquelles il se noyait - alors à qui d’autre pouvait-il bien en vouloir ? Il était le simple fautif ; il fallait croire que le porteur de lumière lui-même enivré par l’élévation, se fit ange déchu. Il n’en était qu’une pâle représentation, trop lourde pour être même regardée, trop pathétique pour être comprise - de toute évidence on le contemplerait des oeillades peu raisonnables, trop indélicates de ces oeillades que l’on donne à ceux qui n’en valent plus la même.
Ashe percevait les choses ainsi ; et ça ne l’aidait pas plus à se résoudre.

— Mais tout est de ma faute et si j’étais le seul responsable de tout ça ; tu penses que je pourrais m’en sortir ? Rire nerveux sur les lèvres tiraillées ; il n’en a aucune idée Ashe. Il n’a pas même l’idée simple d’où il se situe actuellement, est-ce la bonne voie sûrement pas et il en est certain - est-ce la mauvaise voie ? Très sûrement, mais il n’y en a jamais eu d’autre offerte à lui.
C’est comme s’il avait été habitué aux ténèbres, méandres même de la déception dès qu’il avait perçu la lumière du jour. Déjà enfant qu’il avait échoué à être simplement transparent, peut-être pour cela qu’on ne l’avait jamais vraiment considéré, peut-être peu aimé. Il s’était attendu à plus et il en avait été blessé - peut-être qu’il ne savait même plus aimer correctement, peut-être était-ce ce qui clochait chez lui.
Alors qu’est-ce qu’il se passe - tant de choses sur lesquelles il ne peut donner de nom, ce qu’il se passe ; trop de blessures qu’il créé lui-même sur un corps qu’il avait pour volonté d’aimer toute sa vie.

— Parce que même si je m’en sortais maintenant.. Je n’aurais plus rien d’autre qui m’attendra. Et y a-t’il réellement une façon pour lui de s’en sortir ? Ça semble insensé. Des enfers éveillés et des flammes véhémentes qui l’emportent ; c’est une pluie froide et consumante à la fois qui broie ses pensées. Il n’y a peut-être aucune façon d’arranger les choses et c’est d’une volonté brutale naissante qu’il se saisit d’un énième verre - ça lui fera oublier un instant peut-être, tout ce qui doit l’être. La vérité c’est que l’alcool lui brûle la gorge bien plus que ses propres maux.
Alors c’est complexe d’évoquer clairement le problème. Complexe de rendre claires toutes les informations ; il y en a tellement et elles sont toutes honteuses.

— Mais est-ce qu’il y a une bonne façon - une façon simple, de protéger ceux auxquels on tient ? Parsifal, Hua aussi - mais à y réfléchir, il avait échoué à chaque fois. Il n’y avait pas de bonnes raisons et les démons ne dormaient jamais vraiment ; s’ils n’étaient pas là, ils restaient toujours. Partiellement présents, dans une ridicule coin de l’esprit.

Elle s’essaie et n’a probablement aucune idée de l’immondice qu’elle affronte en cet instant, alors Ashe ne peut réellement lui en vouloir de sembler si évidente dans ses propos. Mais lui semble incapable de s’en sortir, ou du moins à chaque fois que cela y ressemblait, il finissait pas lamentablement échouer. Il n’y a aucune évidence, aucune clef ; il a cette impression d’avoir lui-même détruit ce qu’il a construit pendant longtemps.. Pourquoi au final ? Il était le destructeur de ses propres ressentiments, alors brutalement il agissait comme si le monde le détesterait s’il savait. Alors il s’effritait seul dans son coin ; alors jamais rien ne changeait.

— Je pense que je n’ai plus grand chose à sauver. Il n’a jamais eu rien d’autre à sauver que Parsifal, et il avait réussi à rendre cette tâche impossible, voir insurmontable. Pire encore il était devenu son bourreau même ; s’efforcer d’avoir de bonnes intentions ne suffisait plus, il avait besoin d’ouvrir son coeur quand bien même ce qu’il y cachait était immonde. Car quand ses doigts se resserrent autour de sa main, il a l’impression qu’on n’a jamais réellement chercher à savoir ce qui clochait, chez lui.
Peut-être qu’il avait trop refusé qu’on l’écoute et que les verres qui s’enchainaient avaient facilité cette manoeuvre. Peut-être qu’il ne méritait pas d’être écouté, ça restait légitime à ses yeux.

— Et il y a des impasses que je ne peux pas franchir. Quelque chose de plus fort que moi, quelqu’un. Des choses qui m’empêchent de sauver ce qui compte pour moi ? Et moi tu sais, je n’ai rien en dessous de tout ça. Je suis doué quand il faut frapper mais c’est tout ce que j’ai. Ça a semblé si évident, énoncé de la sorte ; parce que ça semblait réel. Parce que ça l’était. Il était grand et c’était terrifiant, il avait le corps lourd qui grinçait épuisé de sa propre mesure. Autrefois, il aurait peut-être trouvé beaucoup d’avantages à cela, mais désormais ça lui semblait plus être un fléau. La vérité c’était qu’il s’était rendu immonde de lui-même.

— Parfois, je ne peux juste pas frapper ce que je veux. Ceux qui le méritent. Tu sais que ce sont toujours les plus faibles qui finissent par en payer le prix. C’est toujours comme ça que ça se passe. Et il sait, sait que ce qu’il fait est ignoble - mais elle, Kumiho - lui a mis en tête que c’était nécessaire. Il n’empêche qu’il est hanté par les doutes, que jour après jour si c’est Parsifal le plus terrifié des deux, c’est qu’il y a bien une raison derrière cela n’est-ce-pas ?